lundi 29 décembre 2008

Lu et approuvé/Un fils de l'Amérique


Un fils de l'Amérique,

Nelson Algren



Cass McKay est un visage pas très reluisant de l'Amérique : fils d'un détraqué, frère d'un alcoolique, livré à lui-même. Né miséreux dans un trou paumé du Texas, Cass rejoint la horde de vagabonds qui prennent les trains d'assaut en espérant un jour meilleur. Comme tous ces "hobos", ces travailleurs itinérants que l'on croise aux Etats-Unis pendant la crise des années 30, Cass fréquente les soupes populaires, parfois les prostitués, parfois les prisons. Le hasard fait le reste : bonnes ou mauvais rencontres...
Nelson Algren est connu en France pour avoir été l'amant de Simone de Beauvoir. Mais il mériterait qu'on s'attarde davantage sur son oeuvre que les spécialistes rangent aux côtés de Faulkner, pas moins.
Il restitue en tout cas magistralement la cruelle réalité des misérables, reprend leurs expressions crues, décrit leurs comportements douteux mais ne juge jamais cette "masse silencieuse". Le terme n'est pas choisi au hasard puisque l'auteur était communiste; ses idéaux se ressentent particulièrement dans la troisième partie du roman qui se déroule à Chicago : "Le maire lui-même faisait un peu de proxénétisme pour joindre les deux bouts : pour le compte de l'usine Chevrolet, pour la Standard Oil, ou de n'importe quelle pieuvre industrielle disposant des moyens de le payer. Et c'était ça qu'il était en train de faire trois pâtés de maisons plus loin. Il maquait cette vieille pute, le monde des affaires de Chicago, la fardant pour son dernier gros samedi soir. Le maire était un souteneur, il travaillait pour le compte de la Libre Entreprise."
Que dirait-il aujourd'hui alors que l'Amérique est en pleine récession de voir le président voler au secours des banques et de l'industrie automobile à grands renfort de millions de dollars? Un écrivain nous parlera peut-être bientôt de ces milliers d'Américains, endettés jusqu'au coup, victime de la crise des subprime, venir gonfler cette masse toujours silencieuse.
Taille de police
L'info en plus : Un fils de l'Amérique est le premier roman de Nelson Algren, écrit en 1935 pour 30 dollars par mois. Comme le livre n'a eu aucun succès à sa parution, l'auteur s'est abstenu d'écrire jusqu'en 1940.

Lu et approuvé/ Habillés pour l'hiver

Habillés pour l'hiver
David Sedaris


C'est annoncé en sous-titre : voici 22 épisodes de la vie d'une famille presque normale. Des anecdotes qui remontent à l'enfance, à l'adolescence ou au début dans la vie professionnelle et sentimentale qui n'ont pas spécialement de portée mais qui ont le mérite de nous arracher un sourire. Certaines épisodes sont franchement comique comme celui des "six à huit noirs" où notre auteur compare Noël aux USA et en Hollande : "Le père Noël vit avec sa femme au pôle nord, dans un village isolé, et passe une nuit par an à faire le tour du monde. Si vous êtes méchant, il vous laisse du charbon. Si vous êtes gentils et que vous habitez aux Etats-Unis, il vous laisse à peu près tout ce que vous voulez. [...]Un parent hollandais doit raconter une histoire nettement plus inquiétante et dire à ses enfants : "Ecoutez, il faudrait peut-être préparer quelques affaires avant d'aller vous coucher. L'ancien évêque de Turquie va venir ce soir accompagné de six à huit noirs. Il se peut qu'ils mettent des bonbons dans vos souliers, mais il se peut qu'ils vous fourrent dans un sac et vous emmènent en Espagne ou qu'ils fassent juste semblant de vous donner des coups de pied." Evidemment, ceci n'est qu'un extrait d'une comparaison qui s'éternise et confine à l'absurde.
Comme les histoires sont très courtes et très vivantes, c'est le genre de livres parfait sur la plage ou dans le train.

Vu et approuvé/ Burn after reading

Burn after reading,
Ethan et Joel Cohen


C'est un film juste "pour de rire", comme les frères Cohen en ont le secret. Osborne Cox, analyste à la CIA, est viré. Il décide alors d'écrire ses mémoires. Un CD comportant ses données personnelles arrive entre les mains de deux salariés d'une salle de gym qui veulent le faire chanter. Mais ce sont eux qui vont très vite déchanter...
Après l'impressionnant et sombre No country for old men, les réalisateurs se sont accordés une petite récréation : le scenario est une somme de petites absurdités et les acteurs se disputent le statut de personnage le plus grotesque. Brad Pitt en "blonde" peroxydée alternant machouillage de chewing-gum et boisson énergétique l'emporte haut la main. Suivi de près par Georges Clooney en obsédé du footing et obsédé tout court.
Les frères Cohen ont chargé leur personnage et on éprouve une certaine jubilation à les voir s'empêtrer dans leurs propres bêtises.

jeudi 11 décembre 2008

Lu et approuvé/ L'attrape-coeurs

L'attrape-coeurs
J.D Salinger


On s'attaque ici à un classique de la littérature, cité en référence dans des livres ou dans des articles, "roman de l'adolescence le plus lu dans le monde entier" nous dit la 4e de couverture. Holden, fils de bourgeois new-norkais, est renvoyée encore une fois de son lycée, trois jours avant Noël, et n'ose pas l'avouer à ses parents. Mais écoeuré par ses camarades et l'atmosphère des dortoirs, il fugue pour passer quelques jours en liberté à New-York. L'apprentissage de l'indépendance est plus dur qu'il ne le croit. Il peut bien boire des verres jusqu'à plus soif, se retrouver en tête à tête avec une prostituée, traîner dans les rues toute la journée, Holden est seul, vulnérable et déboussolé. On partage toutes ses inquiétudes et ses questionnements, lui qui est arraché du monde de l'enfance pour passer dans le monde des adultes. Cette période transitoire mais douloureuse est racontée ici avec une grande sincérité et humilité. Holden n'est pas un héros, juste un adolescent ordinaire. Ce qui en fait un modèle universel et (presque) intemporel. Car, oui, appeler ses connaissances par "la môme" untel ou untel a forcément pris un petit coup de vieux.

L'info en plus : Après le succès de l'Attrape-Coeurs paru en 1951, J.D Salinger s'est retiré du monde, quittant New-York pour le New Hampshire. Il ne donne pas d'interview, ne se laisse pas photographier depuis plus de 50 ans, adoptant ainsi le statut de l'écrivain mystérieux , voire de légende vivante. C'est sans conteste un des auteurs les plus "bankable" puisque son livre culte s'écoule à 250 000 exemplaires par an.

mardi 9 décembre 2008

Lu et approuvé/ L'amour ouf

L'amour ouf,
Neville Thompson


Certaines filles sont attirées par les mauvais garçons, c'est le cas de Jackie, raide dingue de Johnser, le petit délinquant de son quartier de Dublin, Ballyfermot. Quand ils passaient l'adolescence à se tripoter sur les parkings des supermarchés désertés par les consommateurs ou à se léchouiller sous un pont après quelques bouteilles de bière bues, ça allait encore. Mais bientôt Johnser ne veut plus se contenter de ça, tant au niveau sexe que niveau business. C'est le début des emmerdes, des bébés surprises et des descentes de flics.
Le récit alterne entre Jackie et Johnser. Elle, la bonne poire de service, soumise à son mari, dévouée pour ses enfants, obligée de faire des ménages pour survivre, soit une somme de petites humiliations quotidiennes. Lui, le caïd des bas quartier, promis très vite à un "bel" avenir qui ne connaît que le langage de la violence, qui ambitionne de devenir le plus redouté des gangsters, mais trahi par son chef.
Neville Thomson dresse un tableau sombre des classes défavorisées d'Irlande mais a une incroyable talent d'écriture pour rendre ses personnages plus vrais que nature! Les épisodes défilent vite et le scénario est très bien huilée : on reste scotché à ces bouts de vie jusqu'à la fin!
Dommage que la traduction française ne soit pas à la hauteur : pour rendre compte du langage des jeunes dublinois, la traductrice a choisit le verlan sauf qu'elle l'utilise à très mauvais escient. Ainsi, un coup de poing dans le nez devient un coup de poing dans le zen! Il y a même des mots que j'ai retourné dans tous les sens et dont je n'ai pas encore trouvé la signification!

mardi 2 décembre 2008

Vu et approuvé/ Hunger

Hunger,

Steve MacQueen

C’est un film coup de poing et coupe faim ! Il se passe pendant les « troubles » en Irlande du Nord qui opposent les catholiques animés par un désir d'indépendance et les protestants fidèles à la couronne d’Angleterre. Le film raconte l’histoire de prisonniers de l’IRA, accusés de terrorisme par les Anglais qui leur refusent le statut de prisonniers politiques. Ils entament alors une grève de l’hygiène, acceptant simplement de se vêtir d’une couverture et retapissant les murs de leurs excréments, car ils ne veulent pas être considérés comme des criminels de droit commun. Devant l’inflexibilité de Margaret Thatcher, alors Premier ministre britannique, ces militants catholiques sortent leur arme fatale : la grève de la faim dans laquelle périront dix hommes dont le mythique leader Bobby Sands.
Le réalisateur a pris le parti de tout montrer, dans les moindre détails, de cet univers carcéral : on a littéralement le nez dans la merde et la tête sous l’eau! A l’origine, il est plasticien et cela se voit car il y a une grande recherche esthétique dans ces plans et une volonté de mettre en éveil tous nos sens : les odeurs et les textures sont presque palpables. Tout est primaire au point même que le langage en est affecté : le seul dialogue intervient au milieu du film entre Bobby Sands et un prête catholique (excellent passage d'ailleurs!).
Les scènes sont d’une grande violence, pas tant physiquement que psychologiquement, même s’il y a quelques passages à tabac. Non, ce qui choque, c’est l’aliénation de ces hommes, la dépossession de soi et de sa dignité. C’est la répétition et l’accumulation de ces sévices qui rendent certaines scènes insoutenables, surtout à la fin quand l’homme devient décharné, tel un survivant des camps d’Auschwitz. On en ressort complètement sonné et perplexe sur la violence que les hommes et les sociétés peuvent s’infliger à eux-mêmes.

L’info en plus : Hunger a été récompensé à Cannes par la Caméra d’Or pour le Meilleur premier film, a reçu le Discovery award au Festival de Toronto mais aussi le prix coup de cœur au Festival du film britannique de Dinard.

Lu et desapprouvé/ La tache

La tache,

Philippe Roth

La tache, c’est l’histoire du puritanisme américain. Ce n’est pas un hasard si l’action se passe en 1998 au moment où éclate l’affaire Lewinsky, du nom de l’assistante qui faisait des fellations au président Bill Clinton dans le bureau ovale.
Coleman Silk, professeur d’université, est lui aussi l’objet du scandale : il est accusé de racisme mais préfère démissionner plutôt que de se battre, évitant ainsi de révéler un lourd secret et entretient une relation avec une femme de ménage, un cas social de 40 ans sa cadette. Shocking ! Ses amis, collègues et connaissances le laissent tomber et c’est en désespoir de cause qu’il se rend chez un voisin écrivain : écrivez mon histoire, lui lance-t-il. Ainsi soit-il !
A part une dernière scène forte et intense, ce roman manque de relief à cause d’une intrigue qui stagne et s’étiole : c’est comme un plat qu’on voit passer dix fois sous son nez sans avoir envie d’en manger ! Ca pourrait être un exercice de style à la Queneau mais le verbe de Roth manque un peu de piquant à mon goût, surtout sur la longueur. On partage le cerveau de plusieurs personnages alors on peut picorer chez qui on veut : un professeur d’université déchu de son piédestal, une ambitieuse française qui donne des leçons de moral à tout le monde, un vétéran qui a perdu la boule dans la guerre du Vietnam, une vieille dame qui a été trahie par son frère mais la plus intéressante est sans doute la femme de ménage sans le sou et sans la vertu. Soit disant illettrée, elle tient les propos les plus pertinents : « Nous laissons une souillure, nous laissons une trace, nous laissons notre empreinte. Impureté, cruauté, sévices, erreur, excrément, semence – on n’y échappe pas en venant au monde. [ …]La souillure est en chacun. A demeure. »