mercredi 22 septembre 2010

Lu et approuvé/Un monde sans fin

Un monde sans fin,
Ken Follett


Après le premier succès de sa fresque médiévale intitulée Les piliers de la terre, Ken Follett revient nous conter les aventures de la ville de Kingsbridge deux siècles plus tard, au XIVe siècle, dans Un monde sans fin. Ayant dévoré le premier tome, on se jette avidement sur le second, qui concerne les descendants de Tom le Bâtisseur et dame Aliena.

Une impression de déjà vu. On y retrouve les mêmes personnages, aux mêmes caractéristiques et tempéraments, comme si les chiens ne faisaient pas des chats. Et ils sont justement chiens ou chats, tous blancs ou tous noirs...Du côté des gentils, la bonté, la droiture, le génie de l'architecture coule dans le sang de Merthin. Nous retrouvons l'intelligence, l'indépendance, la rébellion sous les traits de Caris. Du côté des méchants, Ralph, l'écuyer ambitieux, n'est que cruauté, brutalité et amoralité. Godwin, le prieur conservateur, est un homme de conspiration et de trahison. Ils nourrissent de plus les mêmes ambitions : un charpentier qui rêve de construire une cathédrale, un écuyer qui rêve de devenir compte, une paysanne qui rêve de se libérer du joug de son seigneur, un moine qui veut devenir prieur...

Un seul élément nouveau. Et puisque les ingrédients ont fait une bonne recette (90 millions d'exemplaires pour les Piliers de la Terre), pourquoi en changer? Le décor est de fait le même : la ville de Kingsbridge, sa cathédrale et son prieuré, ses brigands dans la forêt, son comté de Shiring... Hormis une petite incursion en Normandie et Picardie où le roi Edouard III guerroie, il n'y a guère de dépaysement! Le seul protagoniste nouveau, et pas des moindres, est la peste qui va décimer la population, ravager les campagnes, et conduire les habitants à une vie de débauche.

La surenchère. La peste est un bon prétexte pour exploiter des scènes marquantes : agonies, flagellations, lubricité, etc. Ken Follett a semble-t-il voulu pimenter son roman avec des scènes de torture et de sexe. Aussi nous abreuve-t-il de détails sur la montée du désir et l'acte sexuel, qui sont en nombre suffisants, pour nous interroger sur sa démarche littéraire? A moins qu'elle ne soit commerciale?

Historique. Ken Follett nous distille tout au long de ses 1300 pages moult détails sur la vie au Moyen-Âge que ce soit dans un monastère, dans une ville ou dans les campagnes, ce qui en fait un ouvrage historique accessible à tous. Pédagogue, il nous explique intelligemment la construction d'un pont, d'une tour ou d'un hospice sans jamais nous lasser. Il nous montre bien les enjeux de pouvoir entre les moines et les marchands dans une ville administrée par un prieuré, mais aussi les relations que peuvent entretenir un seigneur avec ses baillis, ses paysans libérés, et ses serfs. Il nous enseigne également que le Moyen-Âge n'est pas si obscurantiste qu'on ne le dit, en évoquant les progrès ( métiers à tisser plus performants, stratégies militaires affinées, pratiques médicales améliorées, etc.)

Anachronisme. Ken Follett est écrivain et pas historien. Il prend donc des libertés avec l'Histoire. Aussi trouve-t-on un comportement pour le moins inusuel pour le XIVe siècle : une jeune fille qui pense comme une femme des années 1980. Elle refuse par exemple de se marier à l'homme qu'elle aime sous prétexte qu'elle veut rester libre! Elle prend des fonctions qui sont interdites aux femmes comme la médecine. Je ne suis pas historienne mais étant donnée que la femme n'a acquis le droit de vote que depuis 1945 et qu'elle court toujours après la parité en France, il me semble que la femme décrit par Follett n'aurait pu réellement exister. Et ça, c'est toujours embêtant pour un lecteur de ne pouvoir d'identifier ou du moins croire à la réalité d'un personnage.

Des intrigues foisonnantes. Malgré ces défauts, Follett est assurément le roi des rebondissements. Chaque action ou décision des personnages est exploitée dans le cours du roman pour contrecarrer les projets des protagonistes. Les multiples intrigues s'entrecroisent sans cesse pour susciter toujours un peu plus notre curiosité et ne faiblissent jamais sur le long cours. Sauf pour l'intrigue principale tout de même - une lettre cachée sur les volontés du roi - présentée comme une révélation tonitruante et qui n'est qu'un artifice très décevant. Autre bémol, Ken Follett a la fâcheuse tendance de nous rappeler le fil de l'histoire, comme si nous l'avions oublié en cours de route, ce qui peut agacer les lecteurs les plus attentifs et assidus.

En résumé. Malgré de nombreux défauts apparents (personnages identiques au premier volet, surenchère dans le sexe et le sang), ce roman est captivant et nous tient en haleine sur 1300 pages ce qui n'est pas une mince affaire. Il nous explique clairement la vie et les moeurs au Moyen-Âge de manière très pédagogique. Un peu trop clairement pour certains qui pourraient être rebutés par un style simple, voire plat. Pour les lecteurs qui recherchent une plume, mieux vaut passer son chemin car Follett n'est pas de ce bois.