jeudi 5 mai 2011

Lu et mitigé/ Le Paradis du Néant

Livres

Le paradis du néant,
Zoé Valdés


Après Le Néant quotidien qui racontait la difficulté des Cubains à vivre sur leur île avec la dictature de Castro, voici Le Paradis du Néant qui narre les difficultés des Cubains à vivre en dehors de leur île, toujours sous la dictature de Castro.

Yocandra, l'héroïne, une écrivaine cubaine exilée à Paris, vit dans un immeuble du Marais habité par nombre de ses compatriotes. Elle retrouve les mêmes travers que là-bas : curiosité mal placée, rumeurs qui enflent, espionnage de bas étage... Car, comme les exilés, les taupes s'exportent...

Volontairement associable, Yocandra va retrouver une certaine douceur avec l'arrivée de sa mère qu'elle réussit à faire sortir de Cuba. La mère va alors devenir comme une petite fille perdue au milieu de cette grande ville, mais capable de s'adapter à ces nouvelles mœurs avec la facilité d'un enfant. La fille va prendre le rôle de la mère, inquiète à la moindre absence, la raisonnant comme une ado.

Personnage instable et changeant, Yocandra va épouser Fidel Raul, un prénom marqué d'un sceau funeste pour tout exilé puisque c'est celui des deux frères Castro au pouvoir, un dragueur invétéré qui lui apporte sécurité et confort...Le grand amour, lui, est resté à Cuba.

J'ai apprécié le livre pour le regard sans concession qu'il pose sur Cuba et les Cubains : l'auteure, exilée après la parution de son premier roman, a la dent dure avec le régime de Castro et dénonce les espions envoyés pour surveiller les exilés. Elle restitue très bien cette ambiance à la fois nocive et festive de son immeuble (si, si, c'est possible, comme la cigarette!) avec ses compatriotes.

Je l'ai beaucoup moins aimé pour son intrigue. Je sais que tout l'art de l'écrivain est de fabuler mais plus le roman avance et plus la ficelle est grosse, jusqu'aux dernières pages qui deviennent complètement irréalistes. Il y a des pardons impardonnables qui deviennent aussi faciles qu'une lettre à la poste, il y a des retrouvailles improbables entre des dizaines de personne, bref il y a vraiment de quoi faire passer des vessies pour des lanternes.

Enfin, il faut aimer le style direct de Valdès, parfois grossier. Et moi, j'ai trouvé ça fatiguant ces gros mots gratuits. Bordel de merde!

mardi 12 avril 2011

Vu et approuvé/ The company men

Cinéma

The Company men,
de John Wells


Ce film est sans doute plus édifiant pour un Américain que pour un Français. En effet, Bobby Walker est une caricature de l'american way of life : une belle et grande maison, une nouvelle Porsche dans le garage, un super swing au golf, deux enfants formidables... Il travaille dans la société GTX qui subit de plein fouet la crise et licencie à tour de bras, avec à sa tête un patron qui pense davantage au cours de son action et des dividendes des actionnaires qu'aux hommes qui vont être sacrifiés sur l'autel du capitalisme. Et voilà en quoi ce film américain, réunissant quand même des acteurs aussi illustres que Ben Affleck ou Tommy Lee Jones, peut surprendre dans le pays qui a vu le capitalisme naître et se développer. Et où on ne s'attend pas qu'une forme de contestation puisse sortir des studios d'Hollywood.

Dans ce film, on suit trois destins. Ceux de pères de familles ou de maris qui n'arrivent plus à subvenir aux besoins d'une famille ou d'une épouse. Mais il ne s'agit pas ici de les nourrir ou de les vêtir. Non, il s'agit de permettre à sa fille de faire un voyage scolaire en Italie, de pouvoir payer son abonnement de golf ou d'offrir à son épouse une console à 17 000 dollars. On a du mal à plaindre ces chômeurs qui doivent renoncer à leur Porsche, quand tant de gens dans le monde doivent renoncer à bien plus... Mais ce film montre aussi combien un licenciement peut "émasculer" un homme, notamment dans des familles traditionnelles où seul l'homme travaille et où la femme s'occupe des enfants quand il y'en a.

Les + : la réalisation sobre et la brochette d'acteurs : Tommy Lee Jones, Ben Affleck et Chris Cooper, impeccables dans leurs interprétations d'hommes déchus.

Les - : les discours convenus et le happy end

mardi 5 avril 2011

Vu et mitigé/Tous les soleils

Films

Tous les soleils,

Philippe Claudel


Alessandro est professeur de musique baroque à Strasbourg et a des petits problèmes relationnels avec sa fille de 15 ans. Il héberge son frère, Crampone, qui passe ses journées en robe de chambre et ne sort plus de l'appartement depuis que Berlusconi a pris le pouvoir en Italie. Autant dire que ça fait un bail! Et comme la famille est italienne, ça parle fort, ça crie à table et ça mange des spaghettis (je voudrais pas faire de cliché mais ces scènes abondent dans le film).

Les + : Il y a de jolis moments, émouvants ou drôles. Emouvants puisqu'Alessandro fait la lecture aux malades dans une association. Drôle puisque son frère organise des rébellions depuis sa salle de bain. Il y a de la bonne musique, entraînante, sautillante, qui regorge de soleil. Il y a de bons acteurs, et notamment le duo Stefano Accordi (très touchant) et Neri Marcore (très drôle) , qui donnent tout le sel du film.

Les - : Il y en a aussi des mauvais : les seconds rôles -copains ou collègues- qui plombent certaines scènes. On notera aussi quelques erreurs d'appréciation du réalisateur : les ados d'aujourd'hui organisent-ils vraiment des booms en dansant des slows sur de la musique des années 80? Enfin, il y a surtout une intrigue qui n'avance pas et très banale : veuf, ce père ne voit pas sa fille de 15 ans grandir et délaisse sa vie amoureuse.

Ce film se distingue donc davantage pour son ambiance et la chaleur qu'il dégage. Pourquoi pas? C'est de saison.

dimanche 13 mars 2011

Lu et approuvé/ Sang Impur

Livres

Sang Impur,
Hugo Hamilton

C’est dingue comme la littérature irlandaise nous fournit un paquet de grands auteurs, et même s’il on osait aller un peu plus loin, de génies. Je ne parle même pas des Jonathan Swift, des James Joyce, des Samuel Beckett, des Liam O’Flaherty, des Georges Bernard Shaw. Je parle d’une nouvelle génération, né après la Seconde Guerre mondiale, que ce soit en Eire ou en Irlande du Nord : Colum McCann, Joseph O’Connor, Robert McLiam Wilson, Hugo Hamilton.

Hugo Hamilton était jusque là un écrivain reconnu par la critique et par ses pairs, mais qui n’avait pas encore trouvé un grand écho dans le public. C’est chose faite avec Sang Impur, Prix Femina étranger en France en 2004, qui a été un best-seller en Irlande et traduit en plusieurs langues. Dans la préface, Joseph O’Connor affirme : « Hugo Hamilton est le plus grand écrivain irlandais dont vous n’avez pas encore entendu parler. » Sur la 4e de couverture, Colum McCann prévient : « Attention, chef d’œuvre ».

Hugo est le fils d’une allemande meurtrie par le régime nazi et le fils d’un nationaliste irlandais qui a de grands projets pour son pays. Ce couple est encore plus bancal qu’on ne pourrait l’imaginer : la mère est d’une tolérance et d’une douceur extrême avec ses enfants, son mari est extravagant et d’une sévérité extrême avec ses enfants.

Les enfants, eux, sont écartelés entre deux cultures et deux éducations : irlandais en haut avec des pulls over de l’île d’Aran et allemand en bas avec des lederhosen. A la maison, les enfants doivent parler l’irlandais (gaélique) ou l’allemand, l’anglais est proscrit au point de recevoir des coups de baguette quand un « good morning » vous échappe.

Dehors, les enfants Hamitlon n’ont pas d’amis, se font traiter de nazis, reçoivent des coups. Leur mère leur apprend à dire « le non silencieux », la résistance passive face aux « gens du poing », les petites frappes du quartier. Leur père en fait des bons petits irlandais et se lance dans des projets fous, au-delà de toute raison dans les deux cas.

Cette autobiographie est ressentie encore plus durement qu’elle est racontée à travers les yeux d’un enfant : l’écriture simple et naïve, claire comme de l’eau de roche, nous narre l’horreur de la guerre et le calvaire vécu à la maison, sans fioritures et sans excès. Et nous révolte : comment ce père a-t-il pu oser faire subir ça à ses enfants ? Comment cette mère a-t-elle pu oser laisser subir ça à ses enfants ? Car soyons clair, les enfants subissent une véritable dictature à la maison, et le parallèle est assez saisissant avec l’histoire de la mère sous le régime nazi. Et pourtant les choses sont plus compliquées que cela : la mère tente de les protéger comme elle peut, le père les aime mais est aveuglé par sa volonté de rendre sa dignité à l’Irlande.

C’est un roman plein d’intelligence et de sensibilité, avec des scènes très fortes, comme lorsque le narrateur voit son père dans la rue mais fait semblant de ne pas le reconnaître. Sinon, il sera obligé de faire le trajet jusqu’à la maison avec lui, il sera obligé de parler en gaélique, et les autres sauront qu’il est différent, qu’il est « tacheté ». C’est d’ailleurs le titre original du roman Les gens tachetés, qui reflète mieux la tonalité du roman : « Nous dormons en allemand et nous rêvons en irlandais. Nous rions en irlandais et nous pleurons en allemand. Nous nous taisons en allemand et nous parlons en anglais. Nous sommes les gens tachetés. »

L'info en plus : Hugo Hamilton a donné une suite à Sang Impur, qui s'appelle Marin de Dublin

samedi 12 mars 2011

Vu et approuvé/ La maison du bout du monde

Livres

La maison du bout de monde,
Michael Cunningham

C’est peu de le dire que je suis mitigée à l’issu de ce roman, tant le livre semble coupé en deux.

La première partie se déroule dans l’Ohio où Jonathan fait la rencontre de Bobby, enfant qui a perdu sa mère et son frère, taciturne et toujours dans la lune. Alice, la mère de Jonathan, n’apprécie pas tellement cette rencontre mais adopte au fur et à mesure Bobby qui deviendra comme un fils. Bobby et Jonathan fument des joints dans leur chambre en écoutant Jimi Hendrix, et découvrent ensemble les premiers émois sexuels. Alice vient s’immiscer parfois dans leur chambre pour discuter et danser. Il ne se passe pas grand-chose dans cet étrange trio. Et pourtant, on entre pleinement et intimement dans l’histoire de ces deux garçons.

La deuxième partie voit émerger un autre trio bien moins sympathique et captivant que le premier. Comme si quelque chose s'était cassé entre nous, lecteur, et nos protagonistes. Car quelque chose s'est réellement cassé entre eux, lors du passage de l'adolescence à l'âge adulte. Jonathan part à New York où il devient un journaliste sans conviction, qui a un "sex friend" pour occuper ses nuits. Bobby qui habitait toujours chez les parents de Jonathan est contraint de s'en aller quand ils déménagent, et ne trouve mieux que de rejoindre Jonathan à New York. Pour compléter le trio, Clare est la colocataire, une femme haute en couleur qui veut une vie tapageuse, qui invente des histoires pour rendre sa vie plus douce. Ce ménage à trois veut vivre son rêve hippie, mais il semble qu’il soit déjà trop tard... ls auront beau s’installer près de Woodstock, c’est le temps des désillusions.

Autant j’ai trouvé la première partie captivante avec une sincérité et une vérité dans les personnages, autant la deuxième partie m’a semblé peu convaincante et moins évocatrice.

Lu et approuvé/A la bourre et sans un rond

Livres

A la bourre et sans un rond,
Terry McMillan

« C’est pas vous qui allez m’apprendre quelque chose que j’sais pas déjà. Rapport à mes enfants, en tout cas. Ils sont grands maintenant, mais par des tas d’côtés ils s’conduisent encore comme des mômes. » Ainsi parle Viola Price, mère de quatre enfants, qui à force de s’inquiéter pour sa portée, finit à l’hôpital à cause de ses crises d’asthme. Mais toute la famille a la parole : Cecil, le père qui fuit, Lewis, qui sort de prison, Paris, qui incarne la réussite, Charlotte, celle qui fonce, Janelle, celle qui se laisse mener par le bout du nez. Est-ce parce que Terry McMillan est sociologue de formation que son roman sonne si juste et universel, même si elle cible les rapports conflictuels d’une famille afro-américaine de la fin du XXe siècle ? En tout cas, son roman se lit d’une bouchée, tellement les personnages semblent réels. Ils sont enlisés dans leur routine, frappés par les aléas de la vie. Ils n’ont pas forcément le mode d’emploi et essayent de s’en sortir comme ils peuvent. Bref, on peut aisément s’identifier à eux, reconnaître nos travers ou ceux de nos proches. C’est un beau roman sur la famille, entre amour et haine, avec les rancoeurs qui vous sautent à la figure, le souvenirs qui affleurent à la surface, les incompréhensions qui s’amplifient avec le temps. Mais restent les liens du sang.

Lu et approuvé/Wilt 1

Livres

Wilt 1,
Tom Sharpe

Tom Sharpe est méchamment drôle dans Wilt 1, sous-titré « Comment se sortir d’une poupée gonflable et de beaucoup d’autres ennuis encore ?». Henry Wilt, homme de 40 ans, souffre de la médiocrité de sa vie. Il doit enseigner la culture générale à des apprentis bouchers, gaziers, plombiers qui sabotent régulièrement ses cours, il affronte à la maison sa femme Eva qui se découvre une nouvelle passion tous les 48 heures et s’y plonge à corps perdus. Molesté par sa femme dès que la première occasion se présente, Henry Wilt échafaude des plans pour s’en débarrasser définitivement. Mais comment faire cet aveu à la police, le jour où l’on découvre au fond d’un trou le corps d’une femme coulée sous le béton et qu’Eva a disparu au cours d’une mystérieuse soirée ? Tom Sharpe écrit une fable à laquelle on se laisse prendre : après un début un peu poussif pour mettre tous les acteurs en place, le mécanisme d’une précision remarquable se met en branle et nous précipite dans un univers presque kafkaïen. Sauf que l’improbable sert ici une comédie loufoque, d’un humour noir et féroce, assortie d’une critique de la société. Et puisqu’il est rare de rire à la lecture d’un livre, on se réjouit de savoir qu’il existe trois autres aventures d’Henry Wilt.

Vu et approuvé/Les chemins de la liberté

Cinéma

Les chemins de la liberté,
Peter Weir

Peter Weir, réalisateur du Cercle des poètes disparus, signe avec les Chemins de la liberté, un film de belle facture. Le scénario est tiré d’une histoire vraie : une poignée d’hommes emprisonnés dans un goulag en Sibérie s’évadent le jour d’une tempête et vont parcourir plus de 10 000 km pour arriver jusqu’en Inde, pays de la liberté puisqu’il n’est pas sous le joug communiste.

Evidemment, les images sont d’une grande beauté comme le sont les paysages qui ne sont pas encore dénaturés par l’homme. Elles sont dures aussi car on ne traverse pas impunément des milieux hostiles, quasiment sans eaux et sans nourritures. On apprécie que Peter Weir n’en fasse pas trop : pas de gestes héroïques, pas de mélodrames faciles, pas de bavardages inutiles.Bien sûr, l’exploit accomplit – 10 000 km de la neige russe au désert de Gobi, de la muraille de Chine aux montagnes de l’Himalaya – pourrait leur conférer un statut de héros. Mais ce sont justes des survivants, et cette survie leur a trop coûté pour s’en réjouir.

Vu et approuvé/Face de cuillère

Théâtre

Face de cuillère,
Cie Mandarine Blanche

Face de cuillère, c’est une « petite gosse courageuse » et « née de travers » comme elle aime à le rappeler. Elle est autiste, incapable d’écrire et de lire, mais peut vous dire quel jour tombe le 23 février 2015 et a des facultés surprenantes pour vous raconter son quotidien. Et le sort s’acharne sur cette petite fille, frappée par un cancer incurable, touchée par la séparation de ses parents…

Ce scénario de Lee Hall, scénariste de Billy Elliot, est d’une force incroyable, jamais mièvre et mélodramatique, parfois drôle, toujours juste. L’enfant est une éponge qui retransmet les faits comme elle les a entendus, sans pudeur et sans fard : la pouf de papa, la vodka de maman, les fantômes des camps de concentration du Dr Bernstein, l’amour réconfortant de Mme Patate…

Laetitia Poulalion porte ce monologue sur ces épaules, entre voix enfantine et réflexion de sage, mouvements apaisés et gestuelles saccadées. La mise en scène d’Alain Batis, de la Cie La Mandarine Blanche, est dépouillée au maximum. Le décor est minimaliste: deux toiles blanches, deux fils de linge, deux tabourets. Mais entre ombre et lumière, les marionnettes déchirées dans le papier se mettent à danser et prennent vie. Et la passion dévorante de la petite fille, la musique d’opéra, lui permet de s’envoler vers un univers onirique, offrant de vrais moments de poésie.

Lu et approuvé/Retenir les bêtes

Livres

Retenir les bêtes,
Magnus Mills

Tam et Richie sont deux travailleurs écossais un peu bas de plafond : on pourrait les prendre pour deux adolescents attardés, ce sont en réalité des adultes privés d’horizons. Leur seule distraction ? Le pub, boire des pintes et mater du coin de l’oeil les femmes qu’ils n’osent pas aborder. Ils travaillent toute la journée à construire des enclos pour bestiaux, avec plus ou moins de sérieux. Lorsqu’ils doivent partir sur un chantier en Angleterre, leur patron leur adjoint un contremaître anglais, le narrateur, qui va essayer de surveiller ce duo inséparable.

C’est un monde presque sans parole avec des travailleurs qui fument plus qu’ils ne causent, qui n’expriment aucun désir si ce n’est charnel, qui ne voient pas plus loin que leur poteau à enfoncer dans le sol. Et quand un événement extraordinaire surgit comme la mort, les personnages la considèrent comme un problème de plus dans leur routine, comme un camion à décharger ou un outil à nettoyer. La vie semble n’avoir pas de prise sur eux ou n’avoir pas prise en eux.

Ce livre vaut pour son ambiance austère et rude, ses anti-héros qui peuplent les pubs britanniques et pour son dénouement si mystérieux. Tout est dans le non dit au point que l’on ait peur de ne pas avoir tout compris, ou au contraire d’avoir trop bien compris. Effrayant et déroutant.

L’info en plus : Ancien conducteur de bus, Magnus Mills a été finaliste du Booker Price en 1998 avec ce premier roman.