Livres
Sang Impur,
Hugo Hamilton
C’est dingue comme la littérature irlandaise nous fournit un paquet de grands auteurs, et même s’il on osait aller un peu plus loin, de génies. Je ne parle même pas des Jonathan Swift, des James Joyce, des Samuel Beckett, des Liam O’Flaherty, des Georges Bernard Shaw. Je parle d’une nouvelle génération, né après la Seconde Guerre mondiale, que ce soit en Eire ou en Irlande du Nord : Colum McCann, Joseph O’Connor, Robert McLiam Wilson, Hugo Hamilton.
Hugo Hamilton était jusque là un écrivain reconnu par la critique et par ses pairs, mais qui n’avait pas encore trouvé un grand écho dans le public. C’est chose faite avec Sang Impur, Prix Femina étranger en France en 2004, qui a été un best-seller en Irlande et traduit en plusieurs langues. Dans la préface, Joseph O’Connor affirme : « Hugo Hamilton est le plus grand écrivain irlandais dont vous n’avez pas encore entendu parler. » Sur la 4e de couverture, Colum McCann prévient : « Attention, chef d’œuvre ».
Hugo est le fils d’une allemande meurtrie par le régime nazi et le fils d’un nationaliste irlandais qui a de grands projets pour son pays. Ce couple est encore plus bancal qu’on ne pourrait l’imaginer : la mère est d’une tolérance et d’une douceur extrême avec ses enfants, son mari est extravagant et d’une sévérité extrême avec ses enfants.
Les enfants, eux, sont écartelés entre deux cultures et deux éducations : irlandais en haut avec des pulls over de l’île d’Aran et allemand en bas avec des lederhosen. A la maison, les enfants doivent parler l’irlandais (gaélique) ou l’allemand, l’anglais est proscrit au point de recevoir des coups de baguette quand un « good morning » vous échappe.
Dehors, les enfants Hamitlon n’ont pas d’amis, se font traiter de nazis, reçoivent des coups. Leur mère leur apprend à dire « le non silencieux », la résistance passive face aux « gens du poing », les petites frappes du quartier. Leur père en fait des bons petits irlandais et se lance dans des projets fous, au-delà de toute raison dans les deux cas.
Cette autobiographie est ressentie encore plus durement qu’elle est racontée à travers les yeux d’un enfant : l’écriture simple et naïve, claire comme de l’eau de roche, nous narre l’horreur de la guerre et le calvaire vécu à la maison, sans fioritures et sans excès. Et nous révolte : comment ce père a-t-il pu oser faire subir ça à ses enfants ? Comment cette mère a-t-elle pu oser laisser subir ça à ses enfants ? Car soyons clair, les enfants subissent une véritable dictature à la maison, et le parallèle est assez saisissant avec l’histoire de la mère sous le régime nazi. Et pourtant les choses sont plus compliquées que cela : la mère tente de les protéger comme elle peut, le père les aime mais est aveuglé par sa volonté de rendre sa dignité à l’Irlande.
C’est un roman plein d’intelligence et de sensibilité, avec des scènes très fortes, comme lorsque le narrateur voit son père dans la rue mais fait semblant de ne pas le reconnaître. Sinon, il sera obligé de faire le trajet jusqu’à la maison avec lui, il sera obligé de parler en gaélique, et les autres sauront qu’il est différent, qu’il est « tacheté ». C’est d’ailleurs le titre original du roman Les gens tachetés, qui reflète mieux la tonalité du roman : « Nous dormons en allemand et nous rêvons en irlandais. Nous rions en irlandais et nous pleurons en allemand. Nous nous taisons en allemand et nous parlons en anglais. Nous sommes les gens tachetés. »
L'info en plus : Hugo Hamilton a donné une suite à Sang Impur, qui s'appelle Marin de Dublin
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire